Obturateurs génitaux ("Mating plugs") en particulier chez les Argyrodes ANATOMIE ET COMPORTEMENT DES ARAIGNEES : VINGT-CINQ ANS DE RECHERCHES (version 2023) Par André LOPEZ, auteur |
Après
accouplement, l'appareil génital des Araignées
femelles est parfois oblitéré, notamment chez les Argyrodes (Théridiidae) et
certaines Araneidae, par une substance amorphe ou une
partie
du palpe mâle rendant impossible une nouvelle
fécondation. |
L'orifice
génital primaire ou gonopore des Araignées femelles s'ouvre,
comme celui des mâles, au milieu de la fente ou sillon épigastrique
marquant la limite
entre les 2eme et 3eme somites opisthosomiens
(abdominaux) (Fig.1,2).
Très simple
chez les mâles, où il ne présente que les
différenciations superficielles de l'appareil épigastrique,
il est également
unique et
banal chez les femelles de certains groupes “primitifs” (Araignées
dites “Haplogynes” et Orthognathes) : Liphistiomorphes, Mygalomorphes,
Filistatidae, Dysderidae, Sicariidae…
Chez les autres (« Entélégynes »), l’orifice génital est en revanche surmonté par un organe copulateur spécialisé, l’épigyne, plaque chitineuse dont la forme en auvent, l’ornementation et l’épaisseur varient avec les espèces. Cette épigyne est ainsi d’une diversité aussi extraordinaire que celle de l’organe copulateur mâle. Son maximum de complexité se rencontre dans des familles “privilégiées” (Araneidae, Linyphiidae) où elle porte un scape en forme de coquille et un appendice médian unciforme, dispositifs immobilisant le bulbe du mâle lors de la copulation comme chez Leptyphantes.
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Schéma
1- Appareil génital femelle, vue d'ensemble
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Cc,
canal de copulation - Cf, canal de fécondation - Ga, glande
annexe - Gp, gonopore - Oc, orifice de copulation - Ov, ovaire - S,
spermathèque - T, oviducte - U, uterus externus. |
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Schéma 2 - Appareil
génital
femelle
en coupe histologique
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Cc, canal de copulation -Cf, canal de fécondation - F, fente épigastrique - Ga, glande annexe - Oc, orifice de copulation - S, spermathèque - T,oviducte - Ue, uterus externus. |
Certaines
parties du pédipalpe mâle
peuvent
rester incluses dans les genitalia de la femelle après
l'accouplement (Araneidae, Oxyopidae, Theridiidae). On sait que le
segment distal du style ou embolus, effilé et parfois
trés long (Fig.1,2,3) en est la portion intromittente.
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Fig.1 - Anelosimus
eximius, Guyane |
Fig. 2 -Nephila inaurata
inaurata, Réunion |
Fig.3 -Dysdera sp.(?) |
Emboli
ou styles de trois araignées mâles
B,
reste du bulbe ; E, partie terminale du style ou embolus (© A.Lopez
M.E.B.)
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Pendant
la copulation,
ce
segment
s’enfonce et se brise, soit dans le canal de copulation, soit dans la
spermathèque
où il
se trouve en quelque sorte
« incarcéré ». Les deux
emboli peuvent être
affectés lors de leur insertion simultanée ou successive
et se trouvent ainsi groupés dans un canal de copulation ou dans les deux. Les
mâles amputés deviendraient presque toujours incapables
d’un accouplement
ultérieur avec leur(s)
pédipalpe
(s),
au
point d’avoir
été baptisés “ eunuques ”
par Robinson et Robinson
(1980).
Dans d’ autres cas, l' embolus ne subit pas de rupture
apicale, mais il s’en détache à la copulation une
"coiffe embolique"
préformée. Ce curieux petit
étui ou capuchon terminal préexiste chez les
mâles
vierges qui le conservent, en principe, s’ils ne s ‘accouplent
pas. Levi (1970,1975)
l’a décrit et interprété
("embolus cap") chez plusieurs genres d'Araneinae (Araneidae) dont les
femelles
fécondées renferment ainsi des "coiffes"' dans leurs
genitalia
(Schémas.3
: Ce).
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Schémas 3-- Coiffe embolique (Ce) de Metepeira | |
Sur l'embolus (E)
d'un mâle vierge à gauche, et dans le canal de
copulation(Oc) d'une femelle tout à droite
|
Deux "coiffes" peuvent se retrouver
d'ailleurs chez un même individu comme les
extrémités d'embolus. Fait curieux, j'ai observé que certains de ces
mêmes genres sont dépourvus de dimorphisme sexuel salivaire (Lopez,1986b). En revanche, les
mâles d' Araneinae qui
possèdent des glandes gnathocoxales spécialisées
dites "sexuelles" (Lopez,1977
b) montrent un embolus sans
coiffe et qui ne subit
pas de rupture
apicale lors de la copulation. Ces mâles peuvent donc
s’accoupler
à nouveau ultérieurement et utilisent la
sécrétion des mêmes glandes pour
« lubrifier » leurs palpes,
facilitant ainsi des
intromissions répétées.
Les
parties rompues ou détachables de l’embolus sont formées
par de
la chitine avec son épicuticule et son endocuticule lamellaire.
Il s’ensuit que
les deux parties de
bulbe (embolus)
ainsi constituées peuvent
être
qualifiées d’
« obturateur
structuré »
ou « embolique ».
3 - Obturateur non
structuré ou sécrétoire
Les
« bouchons » varient de l’un à
l’autre et même, pour certains caractères, dans
un même « plug » par :
►leur taille (pellicule très mince à masse volumineuse),
►leur forme (coin, masse amorphe ou sculptée, masse unique ou dédoublée), que cette disposition soit ou non nsymétrique,
►leur couleur (blanche, jaune, orange, rouge),
►leur texture (lisse et brillante ou granuleuse).
Les deux
orifices de copulation et la zone qui les
sépare en sont couverts
mais le gonopore
ou orifice génital primaire
reste toujours libre. Les
« bouchons » ont été
signalés chez les Salticidae,
Clubionidae, Araneidae, Oxyopidae, Thomisidae, Toxopidae et Theridiidae.
Dans cette dernière
famille, le genre Argyrodes est
privilégié comme à d'autres égards tels que
la glande acronale ou
clypéale. Décrivant Argyrodes
cognatus, des îles Seychelles où je l'ai
retrouvée et récoltée personnellement pour
études (Fig.6,7),
Blackwall
(1877) soulignait que les organes sexuels de cette
« Epeira
cognata » sont
très
développés, proéminents, asymétriques et
montrent une saillie incurvée en “ crosse ” (pl.2,
fig.12) (Schéma 5 : G). Cambridge, dans une note jointe et
plus tard encore (1880, p.326) souligne que cet « appendice
sexuel anormal » résulte en fait de
l’adhérence accidentelle d’une petite particule de
matière “résineuse” de même couleur couleur,
certainement
“ adventice ”, formée, formée par une
« exsudation
de cause et nature inconnues ».
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Schéma
5 - Argyrodes
cognatus,
couple, vues
latérales gauches
(d'après Blackwall,1877)
|
Fig.4- Argyrodes
chounguii Lopez, de Mayotte.
Femelle préparée, sans pattes. Vue latérale droite |
F, femelle - G, "appendice sexuel anormal"- M, mâle. Flèche : obturateur saillant sur l'épigyne |
Il
le signale aussi chez Argyrodes
argentatus (processus
rouge transparent,
brillant,de nature « résineuse ») et
chez A.procrastinans (gros, arrondi, proéminent,
de couleur brun-rouge, très
brillant, en forme de
capuchon recouvrant l’ouverture génitale).
Bien plus tard,
Exline et Levi
(1962) décrivent l'épigyne des Argyrodes
femelles comme une
plaque
sclérifiée souvent recouverte par un matériel
“ résineux ” difficile à enlever.
L'auteur
a pu
également constater dans son propre matériel, d’origines
géographiques très diverses, que les femelles adultes des
Argyrodes sont
bien
sujettes à l’adjonction d’une substance donnant un aspect
« anormal » à leur aire génitale
(Fig.4),
oblitérant sa structure réelle
(“ disfigurment ”) et diminuant beaucoup
la valeur de l’épigyne
comme
critère de distinction spécifique. Des photograhies
d'observateurs différents figurent aujourd'hui sur
Internet, concernent Argyrodes
argyrodes (Ténérife), soulignent l'aspect
"résineux" mais ne s' accompagnent pas de commentaires
appropriés(Fig.5,6)
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fFig.5
- Argyrodes
argyrodes. Epigyne et obturateur, vue ventrale. |
Fig.6 - Argyrodes argyrodes. Epigyne et obturateur, vue latérale |
Photographie
Oger-Knoflach, sur Internet |
Photographie Oger-Besson, sur Internet |
Pour les
recherches
histologiques et ultrastructurales (au M.E.B. seulement : Note1), l'auteur a
surtout utilisé la belle espèce
« historique » Argyrodes cognatus
(Blackwall) (Mahé, Seychelles : Lopez col.) et en a
décrit par ailleurs la glande
acronale.
3.a - Aspect
au M.E.B.
Le « bouchon » fait largement saillie
au-dessus de la région
génitale femelle. Il s’y
présente comme une masse volumineuse, nettement
bilobée, paraissant aussi pédiculisée (Fig.6),
rappelant
quelque peu la
Sacculine
(Crustacé Cirripède) insérée sur l’abdomen
d’un crabe et est aussi spectaculaire, à échelle
plus réduite, que le
sphragis
(pièce cornée sécrétée par
l'appareil génital mâle pendant l'accouplement d’un
Lépidoptère
Parnassiine et pouvant simuler chez la femelle un appendice
ventro-abdominal (Fig.5 ) !
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Fig.7- Parnassius
mnemosyne (Papilionidae) en vue
latéro-inférieure droite (verso). Hautes Alpes. |
Femelle
fécondée portant
un sphragis (flèche) à l'extrémité de l'
abdomen (© A.Lopez macrophoto numérique) |
Les deux "lobes" sont
inégaux, asymétriques, orientés transversalement
et ont une surface mamelonnée, lisse, sans sculpture
évidente . Le
« pied » se fond
dans le sillon
épigastrique où il s'étale en "socle" au
niveau
des orifices de copulation.
L'un des "bouchons"
examinés renfermait un "corps étranger" aciculaire
pouvant provenir du mâle (palpe
?). Dans le travail de Uhl & al.
(2009) : où Argyrodes
fissifrontella est seule concernée (Fig.H), l'aspect de
deux "plugs", informe, parait totalement différent.
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Fig.8- Deux vues d'un obturateur d'Argyrodes cognatus (M.E.B.) | |
O, zone des orifices de copulation ; P, patte arrière ; S, sternum . Flèches : "corps étranger" (© A.Lopez M.E.B.) | |
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Fig.9 - Argyrodes cognatus femelle, obturateur |
||
Obturateur d' Argyrodes
cognatus : coupes
histologiques totales
( à gauche, au centre) et partielle (à droite)
Cc, canaux de copulation injectés - Oe, partie externe
(© A.Lopez
C.H.)
|
Il
peut s’agir d’une partie
du
palpe mâle, plus précisément de son bulbe,
soit l’extrémité rompue de l’embolus, soit une
petite
pièce
préformée et amovible, la «coiffe
embolique", désignée ici
sous le nom
d’obturateur structuré ou embolique. Mais
il
peut être aussi constitué d’une sécrétion
modifiée,
le
« mating plug »
des Anglosaxons, appelé ici
obturateur non structuré ou sécrétoire, matériel à surface
peu
ou non
élaborée,
amorphe, presque homogène, non chitineux.
Dans
ce dernier cas, l'auteur a
noté
chez les
Argyrodes,
genre
privilégié pour les
études anatomiques (glande
acronale
ou clypéale), que
l’obturateur n’est pas seulement "collé" sur
la région génitale de la femelle mais
aussi injecté dans les
canaux de copulation qu'il moule étroitement
(Fig.7à
gauche et à droite) et s’y trouve
en quelque sorte « enraciné ».
Par
ailleurs, l’origine anatomique des
« bouchons » ne semblant pas avoir
été élucidée, il a acquis
la conviction
, d’après ses coupes histologiques, qu’ils
sont produits, par le
bulbe
copulateur mâle, sinon chez
toutes les Araignées qui en élaborent, du
moins dans le
cas des
Argyrodes. Les glandes gnathocoxales de ces
Theridiidae ne
peuvent être impliquées dans
la sécrétion car elles sont trop peu
développées
et ne présentent pas un dimorphisme
sexuel salivaire contrairement aux Linyphiidae. En
revanche, l’épithélium du
tube séminifère parait être
un bien meilleur candidat à la production de l’obturateur car il
présente un
développement considérable. La glande qui
édifierait l'obturateur
est
très complexe (Fig.9
: Gp) et d’un volume
disproportionné à celui du conduit chitineux (Fig.8 :
Tc) ; son
rôle n’est donc probablement pas limité à la seule
mobilisation du sperme (induction-ejaculation
secondaire).
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Fig.10
- Argyrodes
zonatus mâle, glande
palpaire : deux vues trés partielles. |
|
Gp, glande palpaire ; P, paroi chitineuse du bulbe ; Tc, tube chitineux et spermatozoïdes (© A.Lopez C.H.) |
4.b.-
Sur
le
plan
fonctionnel, il est très possible qu’ en
fin d’éjaculation secondaire, une partie de la
sécrétion
de cette même glande passe dans la lumière du
réceptacle ou du moins dans celle du canal
éjaculateur
par des
orifices qui restent à
mettre en évidence, alors
qu’ailleurs elle en est séparée par l’endocuticule du
tube
séminifère.
Ainsi
serait-elle
déposée dans les canaux de copulation puis
en surface lors du retrait, s’y coagulant ensuite pour assumer un
rôle de blocage irréversible.
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Fig.11- Argyrodes argyrodes, copulation : une sécrétion vraisemblable du palpe mâle droit est introduite dans l'épigyne de la femelle pour l'obturer |
E, épigyne - F,
femelle -M, mâle - S,
sécrétion palpaire pouvant se concréter en
obturateur de
l'épigyne(d'après
B.Knoflach, Internet)
|
Ce dernier se trouve lié à une réduction de la fuite du sperme et surtout, à la compétition spermatique.. Jackson (1980) considère en effet que les « mating plugs » sont des adaptations formant obstacle à l'insémination par d'autres mâles. Ils représentent en effet une barrière physique, sorte de « ceinture de chasteté » (Robinson,1980 : « chastity belt ») qu’un second partenaire devrait obligatoirement extraire, peut être avec son palpe, pour pouvoir copuler en chassant le sperme du premier, manœuvre d’autant plus hasardeuse que les femelles ne tolèrent guère des copulations prolongées !.
En revanche, cet obstacle à des inséminations ultérieures ne doit pas être très efficace dans le cas des obturateurs structurés car ils sont souvent beaucoup plus petits que les canaux où ils se logent ; de plus, le fait qu’ils puissent être plus de deux dans l’épigyne d’une seule femelle, prouve qu’ils n’ont pu empécher l’accouplement de cette dernière avec au moins deux mâles différents. Leur efficacité ne deviendrait réelle que s’ils étaient englobés par une matrice ou coagulum semblable à l’obturateur non structuré. Il semble bien que ce dernier soit en fait la meilleure adaptation possible à la morphologie très particulière de l’ araignée femelle car il n’entrave point le passage de ses œufs alors que chez certains Insectes ( Diptères en particulier) où il existe aussi des « mating plugs », ces derniers peuvent bloquer l’ oviducte et sont nécessairemrent délogés lors de la première oviposition. C'est ainsi que chez Drosophila melanogaster, le mâle libère une substance collante dans l’appareil reproducteur de la femelle pendant l’accouplement pour prévenir un deuxième accouplement avec un autre partenaire (Avila et al., 2011).
Note1 : Laboratoire de
Microscopie
électronique, Université des Sciences et Techniques du
Languedoc, 34 Montpellier : métallisation à l'or et
examen au Microscope électronique à balayage Siemens,
avec la
collaboration de L.Datas.
Bibliographie
Blackwall,
J., 1877.
– Proceed.Roy.Irish.Acad.,Science, 3 (ser.II) : 1 – 22
Exline
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