HISTOPATHOLOGIE  DE  L' OREILLE  MOYENNE  (CAISSE  DU  TYMPAN)


LE  CHOLESTEATOME  ET  SES  LESIONS   ASSOCIEES

                                                                         
                                                                                                                                                                                                                                                                                                                          

              Dr. ANDRE  LOPEZ      médecin anatomo-pathologiste     

                                               


II - Sommaire

VI - Commentaires

Au point de vue anatomique, l’épithélium malpighien du cholestéatome est un épiderme véritable par sa structure histologique et par la présence des cellules de Langherans (Fig. )  caractéristiques de la peau (Bibl.: Bremond & al., 1980). Il est identique au revêtement externe du tympan et à celui du conduit auditif, eux aussi dépourvus ou presque des crêtes profondes (epidermal ridges) qui caractérisent l’épiderme dans son ensemble et s’engrènent avec les  papilles du derme sous-jacent.   

            Le stroma en revanche ne dérive pas du derme mais est fourni par la lamina propria sensu lato de l’oreille moyenne, couche fibreuse tympanique comprise. En effet, il  ne renferme pas d’annexes cutanées, présentes seulement dans les cas exceptionnels de choristome de la caisse.

            De plus, les deux types d’épithéliums,  épidermique et de caisse, sont souvent visibles de part et d’autre du même stroma conjonctif (Fig.1,2), disposition déjà  notée par d’autres auteurs mais presque sans commentaire (Bibl. : Lim & Saunders,1972 ; Bremond & al., 1980 ; Friedmann, 1986). La mise en évidence de leurs cytokératines permet de les accentuer (Fig.3)
         

Deux épith.
Deux épith. 2
Fig. 1 - Paroi de cholestéatome montrant un épithélium de caisse sur sa face externe.
 Fig. 2 - Autre paroi de cholestéatome montrant un épithélium de caisse sur sa face externe ( grossissement supérieur).
E, épithélium malpighien ; Ec, épthélium cubique de caisse ; K, kératine ; S, stroma

     

Deux épith., Kl1
Fig.3 -Autre paroi cholestéatomateuse avec ses  deux épithéliums ( cytokératines brunes)
E, épithélium malpighien ; Ec, épthélium cubique de caisse ; K, kératine ; S, stroma


Elle montre alors que le cholestéatome s'est développé à partir d'une poche de rétraction qui présente au début la même structure histologique (Fig.4).

Poche  rétraction
Fig.4 - Poche de rétraction.
E, épithélium malpighien ; Ec, épithélium cubique de caisse ; K, kératine


         Il s'ensuit que  le nom de «peau», trop souvent  encore attribué à la «matrice»  cholestéatomateuse, doit être abandonné définitivement. L'appellation même de "cholestéatome" reste d'ailleurs discutable bien qu'elle ait été aussi consacrée par l'usage.

            Les cryptes épithéliales sont  d'authentiques structures pathologiques  et non de véritables glandes, ces dernières faisant normalement défaut dans la muqueuse de caisse.Divers auteurs en ont d'ailleurs souligné le caractère anormal (Bibl.: Lim & al., 1973 ; Tos & Bak-Pedersen,1974 ; Tos,1980).
Ces pseudo-glandes résultent d'une hyperplasie mucipare  mais peut-être aussi d'un enfouissement partiel de l'épithélium de caisse dans le stroma, sous la poussée de l'épiderme ou lorsque l'otite prend un caractère "adhésif".

            La tympanosclérose semble être une lésion beaucoup plus fréquente qu'on ne l'admet généralement. Le pourcentage de nos cas (47 %) dépasse largement celui qu'ont indiqué divers auteurs tels que Plester (1971 : 1 %),  Bremond & al. (1985 : 7 %), certains d'entre eux soutenant même  qu'il existe une "compétition" ou "association négative" entre cette lésion et le cholestéatome (Gristwood & Venables,1982).

            Le granulome à kératine est une entité microscopique réelle due à l'implantation de matériel corné dans le stroma où il suscite une réaction macrophagique et gigantocellulaire.
           La plupart des auteurs ne mentionnent pas cette lésion ou ne font que la signaler au passage, sans la nommer et sans établir un lien direct avec le cholestéatome. Ils la considérent comme résultant d'une métaplasie de kystes glandulaires  (Sade & al.,1982), comme une 
banale  réaction à corps étranger  dans l'otite moyenne (Hawke & Jahn, 1988 ; Friedman n & Arnold,1993) et comme limité aux seuls polypes auraux  (Milroy & al.,1989). Certains d'entre eux l'ont même photographiée sans pour autant la décrire  comme propre au "tissu sous-épithélial" (Kaneko & al.,1980 ; Yuasa & al.,1982).
           Tout en n'oubliant pas qu'il s'agit d'une lésion de l'oreille moyenne
,  le granulome à kératine peut fort bien se rattacher à  une série d'affections cutanées de l'oreille externe , disparates mais comportant toujours une réaction macrophagique anti-kératine :  granulome par aérateur (Hawke &  Jahn, 1988), kératose obturante, kystes épidermique et trichilemmal rompus  dans le derme, poil inclus, follicule distendu par un comédon, pilolmatrixome ou "épithélioma" momifié de Malherbe. Le voisinage étroit des squames cornées et des dépôts de cholestérol qui le caractérisent, pourrait suggérer qu'il peut dériver, du moins en partien,

            Le granulome mixte  ne nous paraissait pas encore individualisé. Le voisinage étroit des squames cornées et des dépôts de cholestérol  suggère qu'il pourrait dériver, du moins en partie,des produits lipidiques de la kératine détruite. Cette hypothèse est basée sur la fréquence des lipophages dans les granulomes mixtes, à kératine, et, par ailleurs, sur l'observation de cristaux de cholestérol dans les kystes épidermiques et les cryptes amygdaliennes kystifiées. Elle s'accorde avec une origine tissulaire du cholestérol (Sade & Teitz,1982) et n'exclue d'ailleurs pas que ce dernier soit également issu d'hématies désintégrées  (Friedmann,1986 ; Michaels,1987 ; Friedmann & Arnold,1993). Une preuve en est apportée par les dépôts d'hémosidérine, quasi-constants dans les granulomes à cholestérol "purs" de notre matériel (Fig.  ), ainsi que les capillaires sanguins dilatés et les suffusions hémorragiques (Fig.  ).

.          Au point de vue pathogénique, nos observations microscopiques ne confirment ni la théorie d’une métaplasie épidermoïde affectant l’épithélium cubique de caisse (Sade & al., 1982), exception faite pour deux cas douteux (Fig. 5 à 7) ni celle d’une prolifération papillaire profonde de l’épiderme tympanique (Ruedi, 1978).  

Métaplasie possible
Fig.5 - Image de métaplasie épidermoïde en marge d'un cholestéatome (APS)
Ch, épithélium de caisse hyperplasié ; E, épithélium malpighien ; S, stroma . Flèches : cellules glandulaires mucipares. A : artéfact (pli de coupe).

Métaplasie possible 2
Métaplasie possible 3
Fig. 6 - Image de métaplasie épidermoïde en marge d'un autre cholestéatome
Fig. 7 - Image voisine de métaplasie épidermoïde : détail
Ci, cellules inflammatoires ; E, épithélium malpighien kératinisé ; S, stroma ; Sb, stratum basale ; Sg, stratum granulosum ; Ss, stratum spinosum.  Flèches jaunes (Fig. 7) : exocytose de polynucléaires


           Elles sont plutôt en faveur de la théorie de l’immigration, plus précisément de l’invagination  tympanique ou poche de rétraction. L’épithélium cubique de caisse tapissant le revers du stroma semble en être une meilleure preuve que la persistance occasionnelle de fibres élastiques. On a  tenté d'établir des critères de différence entre la "poche de rétraction" et le cholestéatome avéré. Il ne s'agit  en fait que de particularités évolutives et structurales mineures (Zechner,1982).......
          En ce qui concerne  les lésions ossiculaires, l'importance de la destruction qu'elles déterminent domine les problèmes de physiopathologie dans l'otite chronique moyenne, surtout lorsque cette dernière accompagne un cholestéatome. De nombreuses théories, souvent divergeantes ou complémentaires, ont  tenté d'établir un rapport entre l'ostéolyse et un environnement inflammatoire, suggérant alors plus ou moins un mécanisme cytochimique.
           Divers  auteurs évoquent une résorption ostéoclastique ou non ostéoclastique par l'intermédiaire des cytokines ou d'une activité enzymatique, quelque soit d'ailleurs le facteur déclenchant en cause :  pression que l'épithélium malpighien cholestéatomateux
exerce sur l'os (Ruedi, 1958), phénomène de contact superficiel (Cholé,1993), sécrétion épithéliale, libération de débris kératiniques (Kaneko & al.,1980 ; Okuno & al., 1993) et surtout, inflammation des tissus environnants. Dans leurs études, ces mêmes aujteurs ne précisent pas toujours la nature de l'os lésé : parois de l'oreille moyenne ou osselets.
             Nos propres recherches sont en désaccord avec la mention d'une ostéoclasie fréquente  par Grippaudo (1958), Pollock (1959), Schechter (1969), Cholé (1984,1993), Uno et al. (1993), Huang et al. (1993). Nous n'avons observé des cellules géantes multinuclées d'aspect ostéoclastique
(Ostéoclastes ou myéloplaxes) que dans 3 cas seulement : elles siégeaient au voisinage immédiat ou au contact de travées osseuses érodées (Fig. 8 à 10 ). L'un des osselets était d'ailleurs une enclume retaillée et transposée antérieurement (Fig.8). Au moins dans les osselets, nos observations semblent donc bien confirmer l'absence ou l'extrême rareté des ostéoclastes telle que l'ont soulignée plusieurs auttres chercheurs (Thomsen &t al., 1974 ; Karaja, 1976 ; Bernstein & al.,1977; Tanaka &  al.,1980 ; Kaneko & al. ,1980 ; Schaper et Van de Heyning,1980 ; Breatlau & al., 1981 ; Man n & al., 1981 ; Chao & Jin, 1992).

Ostéoclastes 1
Ostéoclastes 2
Ostéoclastes 3
Fig. 8- Cellules d'aspect ostéoclastique
Fig. 9- Cellules d'aspect ostéoclastique
Fig. 10 - Cellules d'aspect ostéoclastique
Cs, capillaire sanguin ; O, tissu osseux ossiculaire ; Tc,  tissu conjonctif, espace périvasculaire. Flèches : cellules géantes multinucléées  (aspect  d'ostéoclastes)

          Nous
devons souligner le rôle de l'hyperhémie et de la prolifération fibroblastique
.  
          Déjà signalée par Thomsen et al. (1974), l'hyperhémie est un état "pionnier" qui s'associe fréquemment avec une ostéolyse dans les espaces périvasculaires où il n'y a pas (encore) d'infiltrat  inflammatoire. Elle pourrait ainsi provoquer une résorption acellulaire.
         La prolifération fibroblastique peut  se développer d'abord superficiellement, soit dans la "matrice" du cholestéatome, soit, si ce dernier est absent, dans le  stroma de la muqueuse, d'où elle s'étend ensuite aux espaces périvasculaires voisins. Elle peut aussi apparaitre d'emblée dans les mêmes espaces, peut être aux dépens des parois de vaisseaux. Nous pensons comme Harris (1962) que la réaction fibroblastique est un facteur actif d'ostéolyse, peut être par les enzymes protéolytiques, dont la collagénase, que les cellules conjonctives sont sensées sécréter dans l'oreille moyenne (Huang & al., 1993 ; Parisier & al., 1993). Elle ne dénote pas pour nous un processus cicatriciel car elle apparait souvent de novo, en l'absence de cellules inflammatoires profondes et loin des tissus de granulation superficiels.
          Les lésions ossiculaires semblent donc plus liées à des réactions d'aspect inflammatoire, au sens large du terme, qu'à la présence ou non d'un épithélium malpighien épidermique dans l'oreille moyenne. Il est possible que la résorbtion osseuse soit différente dans les parois de la caisse, ce qu'une étude comparative devrait démontrer.

         La présence des myofibroblastes, tant dans les osselets lésés que le stroma cholestéatomateux est une découverte intéressante et qui mériterait des recherches ultrastructurale et physiopathologique approfondies. Ces cellules sont également présentes dans la muqueuse de l'oreille moyenne biopsiée en chirurgie de l'otospongiose et examinées en microscopie électronique à transmission (Lopez & al.,1992). Leur ultrastructure est intermédiaire entre celles des fibroblastes (réticulum endoplasmique granuleux) et des cellules musculaires lisses (plaques denses, myofilaments, micropinocytose) (Fig. 11 à 13). Crédités de propriétés contractiles et même sécrétoires, les myofibroblastes sont  retrouvés aujourd'hui avec une fréquence croissante dans divers tissus pathologiques : athérosclérose, réaction stromale des tumeurs, fasciites, cicatrisations "vicieuses" (Majno, 1979 ; Seemayer & al., 1981).


Myofibroblastes 1
Myofibroblastes 2
Myofibroblastes 3
Fig. 11-Myofibroblastes en  coupe oblique. M.E.T.
Fig. 12 -Myofibroblaste en  coupe transversale. M.E.T.
Fig. 13 -Myofibroblastes, détail. M.E.T.
C, collagène ; Cy, cytoplasme ; Mf, myofilaments ;  N, noyau ;  P (ou flèches jaunes),  plaque dense;  Rg, réticulum endoplasmique granuleux.  Flèches rouges  : vésicules de micropinocytose (Fig.).


       Sur le plan pratique,
l'extrême fréquence des lésions complexes du cholestéatome, leur intrication et les interactions stroma-épiderme,  la menace d'une destruction
ossiculaire et d'une atteinte de l'oreille interne  nécessitent une exérèse aussi large que possible  des tissus pathologiques dans la chirurgie de l'otite moyenne chronique.  
        De plus, l'importance de lésions plus profondes affectant les osselets (marteau, enclume) doit limiter leur utilisation pour une ossiculoplastie  lorsque l'oreille intéressée présente une otite chronique moyenne.

Couleurs conventionnelles (texte) :  en bleu-vert, termes d'anatomie macroscopique et d' histologie normales ; en kaki, termes désignant toutes les structures ayant une signification  pathologique, qu'elle qu'en soit l'origine ou la nature ; en rouge, conclusions essentielles.


VII  - Bibliographie






A LA MEMOIRE DU Dr.JEAN CAUSSE, Clinique Causse, 34440 Colombiers